Au cours de l’été, l’association Territoires & Prisons propose une série d’entretiens pour explorer les enjeux et les défis du système carcéral en France.
Une Contrôleure générale des lieux de privation de liberté épanouie et libre
Née le 4 août 1952 à Radolfzell (Bade-Wurtemberg), Dominique Simonnot est une journaliste française spécialisée dans les affaires judiciaires. Après avoir obtenu une licence en droit privé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, elle travaille au sein d’un cabinet d’avocats parisiens et devient conseillère d’insertion et de probation en 1979.
En 1991, elle intègre le quotidien Libération comme reporter au service Informations Générales, où elle se consacre aux affaires judiciaires, à la politique pénale, à la condition carcérale, ainsi qu’aux sans-papiers, aux centres de rétention et à l’enfance en danger ou délinquante. En 1995, elle est élue présidente de la Société des rédacteurs et du Conseil de surveillance de Libération, et en 2001, elle devient cheffe du service Informations Générales.
De 1998 à 2006, elle chronique les audiences de comparutions immédiates sous le titre « Carnets de justice ». En 2006, elle rejoint le Canard enchaîné où elle poursuit cette chronique sous le titre « Coup de barre ». En 2017, ses chroniques sont adaptées au théâtre sous le titre « Comparution immédiate, une justice sociale ? », une pièce qui connaît un grand succès.
Dominique Simonnot a également publié plusieurs ouvrages, dont « L’Immigration : une chance pour l’Europe ? » (1997), « Justice en France : une loterie nationale » (2003), « Plus noir dans la nuit » (2014), « Amadora, Une enfance Tzigane » (2018), et « Coup de Barre. Justice et injustices en France » (2019). Elle a préfacé des livres sur la prison et les mineurs, notamment « Du droit à l’évasion » par Jacques Colombat (2014).
Le 14 octobre 2020, elle est nommée Contrôleure générale des lieux de privation de liberté par le Garde des Sceaux. À 71 ans, Dominique Simonnot se dit plus épanouie que jamais, convaincue de l’utilité de son travail. Elle apprécie particulièrement l’indépendance et l’autonomie que lui offre ce poste, qui n’est ni renouvelable ni révocable, lui permettant de se consacrer pleinement à ses missions sans subir de pressions extérieures.
À l’issue de son mandat, dans deux ans, Dominique Simonnot envisage de se dédier à l’écriture, avec des sujets potentiels comme la comparution immédiate ou les enfants en centres éducatifs fermés, deux thématiques qui la passionnent.
Analyse de la situation carcérale française
Question : En tant que Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, quel état des lieux dressez-vous de la situation au sein du système carcéral français ?
Réponse de Dominique Simonnot :
Depuis ma nomination, j’ai le regret d’assister à une lente, inexorable et déplorable dégradation de notre système carcéral.
Avec 77 500 détenus au 1er avril 2024, les prisons françaises n’ont jamais abrité tant de prisonniers. La densité globale atteint désormais 125%. A Rochefort, Tours ou Bordeaux-Gradignan ce taux de remplissage dépasse même 200%. Je trouve que ce fléau de la surpopulation carcérale est navrant. C’est la raison pour laquelle je me bats personnellement aux côtés des syndicats pénitenciers en faveur de la décélération de la population pénitentiaire : qu’il y ait moins d’admissions de prisonniers et davantage de sorties. Pourquoi cela ?
D’une part car chaque détenu représente un coût de 110€ par jour pour la collectivité, ce qui est loin d’être négligeable.
D’autre part car les conditions de vie de nos prisonniers sont si choquantes qu’elles s’apparentent parfois à des châtiments corporels. La première fois que je suis rentrée dans une cellule de cours d’appel, j’ai ressenti un véritable « choc carcéral » : la cellule de 9 mètres carrés (normalement individuelle) était habitée par trois détenus. Elle grouillait de vermines : de l’urine de rat gouttait du plafond, des punaises de lit avaient infesté les matelas, des cafards pullulaient. Ils y étaient enfermés 22 heures sur 24. A ceux qui se moquent du sort des détenus, je les enjoint urgemment à s’y intéresser car c’est justement la façon dont on traite le prisonnier à l’intérieur de la prison, qui déterminera la façon dont il se comportera en sortant de la prison.
La régulation carcérale est d’autant plus urgente à mon avis que le personnel de prison est confronté à un sous-effectif chronique. En Ile-de-France seulement, 800 agents pénitentiaires manquent à l’appel.
Question : Quel rôle les territoires ont-ils à jouer par rapport à ce bilan ? De quelle manière peuvent-ils intervenir en termes d’accueil, d’emploi, de sécurité, de lutte contre les inégalités, de soins de santé … ?
Réponse de Dominique Simonnot :
J’attends beaucoup des territoires et des élus locaux : ceux-ci ont un rôle clé à jouer.
En termes d’emploi d’abord, je souhaiterais qu’ils promeuvent davantage la formation professionnelle. C’est en apprenant un métier au détenu qu’on lui donne le goût de faire autre chose. Dans cette perspective, la France devrait s’inspirer de l’Allemagne où 70% des détenus sont employés (contre 28% dans l’Hexagone).
En termes de lutte contre la récidive ensuite, trop de détenus sont soumis à « la sortie sèche », c’est-à-dire qu’ils ne bénéficient d’aucun accompagnement des services d’insertion et de probation. Afin de les réhabituer progressivement à une vie normale, il serait judicieux que les territoires facilitent leur « placement à l’extérieur sans surveillance continue » (mesure d’aménagement de peine permettant à certains condamnées d’exécuter leur peine en dehors de la prison, avec une prise en charge par une association)
En termes de sécurité, et notamment de sécurité incendie, la capacité d’action des territoires n’est pas non plus négligeable. Afin que les 900 feux de cellules répertoriés chaque année ne soient qu’un lointain souvenir, le Service Départemental d’Incendie et de Secours pourrait intensifier la fréquence de ses contrôles.
En termes d’accueil, les territoires ont également beaucoup à faire selon moi.
- D’abord, ils devraient davantage faciliter la venue d’associations au sein des prisons. Cela permettrait aux détenus d’expérimenter de nouvelles activités en assistant par exemple à des ateliers de dessin, des sessions de sport, des cours de théâtre, des conférences sur l’hygiène et le respect …
- Ensuite, dans la mesure où l’objectif est que nos pénitenciers soient le plus possible ancrés au sein du territoire, il est impératif que ces lieux très excentrés des centres-villes soient mieux reliés au réseau de transport (gare, station de bus et de tramway).
- Enfin, les territoires devraient davantage s’impliquer dans la construction Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) aidant les personnes sortant de prison à recouvrer leur autonomie.
En termes d’éducation les territoires se doivent d’agir également car les 800 mineurs incarcérés dans nos prisons ont 4 à 5 fois moins d’heures d’enseignement que leurs camarades du dehors.
Les territoires doivent finalement agir en termes de soins de santé : par exemple en facilitant la venue à l’intérieur des prisons pour femmes des puéricultrices du service de Protection Maternelle et Infantile.
En appliquant toutes ces suggestions, je suis convaincue que la prison a le potentiel de devenir un endroit bien plus agréable.
Question : En parlant de santé publique, pourriez-vous aborder l’état de la psychiatrie dans les centres de rétention administrative ?
Réponse de Dominique Simonnot :
L’état de la psychiatrie en rétention est tout sauf brillant : de moins en moins d’ordonnances d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental sont délivrées et les examens médicaux en garde à vue sont de plus en plus mal réalisés. Le nombre de psychiatres est également grandement insuffisant puisque 15,5% des postes demeurent vacants. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où cette carence s’observe déjà à l’hôpital public … Alors en rétention, imaginez-vous ?
Nombre de détenus auraient davantage leur place en hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison. En effet, 30% de nos prisonniers souffrent de troubles psychiatriques graves. En autres pathologies, on retrouve la dépression à tendance suicidaire, la paranoïa, la toxicomanie … Sous l’effet de la surpopulation carcérale, ces maladies se trouvent exacerbées de telle sorte que la méfiance des détenus sains vis-à-vis des détenus malades n’a jamais été si forte. Le climat ambiant entre codétenus devient encore plus difficile à supporter.
Question : La thématique de la santé mentale soulève elle-même des questions importantes concernant le handicap. Qu’en est-il de la prise en charge des personnes en situation de handicap au sein des prisons françaises ?
Réponse de Dominique Simonnot :
Une fois encore la situation est alarmante.
Concernant le handicap mental d’abord, comment voulez-vous qu’un trisomique 18 comprenne ce qui lui arrive lorsqu’il est incarcéré ? Sans parler des médecins en prison sont si surchargés qu’ils trouvent rarement le temps de s’occuper d’eux.
Concernant le handicap physique ensuite, certains prisonniers en fauteuil roulant sont installés au deuxième étage sans accès direct à l’ascenseur, faute d’un nombre suffisant de cellules au rez-de-chaussée. Il y a deux ans également, mon équipe est tombée nez à nez avec une unité de 17 malades grabataires baignant dans leurs excréments car leur toilette n’était effectuée qu’une à deux fois par semaine par les infirmiers. Et des histoires sordides de la sorte, il y en a à foison …
Néanmoins, des progrès sont bel et bien réalisés : en 2010, un arrêté a fixé un quota de 3 % de cellules pour personnes à mobilité réduite (PMR) dans les nouveaux établissements de plus de 120 places, et de 2% dans les établissements d’une moindre capacité d’accueil. Ces cellules, plus spacieuses, sont censées permettre le passage et la manœuvre des fauteuils roulants par la porte d’entrée et entre les éléments du mobilier.
En savoir plus sur la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :
Le CGLPL veille au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Indépendant, il a le pouvoir d’inspecter tous les lieux de privation de liberté gérés par les autorités : prisons, cellules de garde à vue, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention, etc.
La contrôleure peut être saisi par les personnes privées de liberté ou par toute personne ayant connaissance d’une atteinte à leurs droits.