Entretien avec Dominique Raimbourg, un parcours dédié à la justice et à la réforme pénale

Au cours de l’été, l’association Territoires & Prisons propose une série d’entretiens pour explorer les enjeux et les défis du système carcéral en France.

Un parcours dédié à la justice et à la réforme pénale

Né le 28 avril 1950 à Boulogne-Billancourt, Dominique Raimbourg est un avocat et un homme politique français, membre du Parti socialiste. Père de deux enfants, il a suivi des études de droit à l’université Paris-Nanterre et à l’université Panthéon-Sorbonne avant de devenir avocat pénaliste au barreau de Nantes.

Engagé dans la vie politique, Dominique Raimbourg a été Conseiller municipal à Nantes de 1989 à 2008, puis Adjoint au Maire de 2001 à 2008. Il a également été Conseiller municipal d’opposition à Saint-Sébastien-sur-Loire de 2008 à 2014. Élu Député de la quatrième circonscription de Loire-Atlantique de 2007 à 2017, il a présidé la Commission des Lois de 2016 à 2017.

En tant que Député, il a été particulièrement impliqué dans les questions de justice, de surpopulation carcérale et de réforme pénale. Il est l’auteur du rapport Penser la peine autrement en 2013 et a coécrit le livre Prison : le choix de la raison en 2015. Dominique Raimbourg a également été chargé de plusieurs missions, notamment par les ministres de la Justice Nicole Belloubet et Éric Dupond-Moretti, sur des sujets tels que la carte judiciaire et le jugement des criminels fous.

Aujourd’hui, bien que retraité, Dominique Raimbourg reste très actif dans la vie publique et associative. Il préside la commission nationale consultative des gens du voyage et est vice-président de l’observatoire de la justice de la Fondation Jean-Jaurès. Ce grand-père de 4 petits-enfants continue de s’investir sans relâche pour un système judiciaire plus juste et humain.

Passons maintenant à vos questions.

Analyse de la surpopulation carcérale et propositions de solutions

Question : La surpopulation carcérale a atteint un nouveau pic en France au 1er avril 2024 avec 77 450 personnes incarcérées. C’est le chiffre de détenus le plus élevé jamais enregistré. Pour endiguer le phénomène, le Gouvernement a pris des mesures correctives : interdiction des peines de prison de moins d’un mois, aménagement des peines, détention à domicile sous surveillance électronique, développement du travail d’intérêt général. Selon vous, quelles sont les prochaines mesures à instaurer pour désengorger rapidement et efficacement les prisons françaises ?

Réponse de Dominique Raimbourg :

La faiblesse de notre dispositif réside d’abord dans l’absence de suivi adéquat pour les personnes sortant de prison. On ne se soucie pas suffisamment de la réinsertion et la lutte contre la récidive n’est pas assez efficace. 

Actuellement, 7 000 agents des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) doivent prendre en charge 170 000 personnes purgeant des peines en milieu ouvert, en plus des 77 450 détenus incarcérés en milieu fermé. C’est beaucoup trop de personnes à suivre. La tâche est rendue d’autant plus impossible à réaliser que la police et la gendarmerie ne sont pas affectées à la surveillance des sorties. Il n’y a quasiment pas de coordination avec les services pénitentiaires. 

Il faut faciliter le placement à l’extérieur afin de réhabituer progressivement le détenu à mener une vie normale avant sa sortie effective. Cela peut prendre également la forme de quartiers où les règles sont beaucoup moins strictes et où le détenu est beaucoup plus libre. Lors de ma visite dans ce type de quartier de la maison d’arrêt de Nantes, j’ai pu constater que les détenus y circulaient librement et participaient à des activités comme des groupes de parole sur le bien-être psychique et la recherche d’emploi. Les détenus se disaient satisfaits, n’étant pas entassés 20 heures par jour dans leur cellule. Le bâtiment, sans coursive ni filet anti-suicide, ressemblait à un immeuble traditionnel avec des chambres de 9 m². Équipées d’un lit, d’une télévision encastrée, d’une douche, de WC et d’un petit bureau, elles étaient spartiates mais relativement agréables.

Il est également nécessaire de mettre en place ce que j’ai appelé un “numerus clausus inversé” : lorsqu’un détenu entre dans une prison en surnombre, celui le plus proche de la sortie sort avec un contrôle et un suivi. C’est un mécanisme à double détente : si le juge d’application des peines ne répond pas, la libération automatique du détenu le plus proche de la fin de peine doit intervenir dans les deux mois.  J’avais déposé en ce sens le projet de loi n° 20753 le 13 juillet 2010 à l’Assemblée nationale. Il ne s’est néanmoins jamais concrétisé faute de majorité. 

Il faut également un hôpital psychiatrique qui fonctionne mieux, car de nombreux malades mentaux sont emprisonnés au lieu d’être hospitalisés d’office. Les malades mentaux délinquants sont un problème que la psychiatrie publique, en grande déshérence, n’arrive pas à gérer correctement. Lors de la conférence de consensus mise en place par Christine Taubira pour préparer la loi de réforme pénale j’avais constaté que ceux qui sont condamnés à moins de 6  mois de prison sont les plus difficiles à suivre. Avec des peines courtes, ils entrent et sortent rapidement, compliquant le suivi.

Il est essentiel de mettre en place une culture du contrôle en parallèle de la culture de l’enfermement. Le recouvrement des amendes doit être amélioré : actuellement, seulement la moitié des montants est réglée. Un système plus efficace permettrait de prononcer moins de peines d’emprisonnement.

Question : Que pensez-vous de l’objectif de construire 15 000 places de prison d’ici 2027, dont 2 000 sont des places d’accompagnement vers la sortie ?

Réponse de Dominique Raimbourg :

Les annonces de construction de places de prison sont rarement tenues. En 2024, moins de la moitié des places prévues dans ce plan décennal ont été construites, bien loin de l’objectif annoncé. La construction d’une prison prend généralement cinq ans, et souvent, il s’agit de remplacer des places vétustes plutôt que de créer de nouvelles places. Ces efforts ne suffisent pas à endiguer l’inflation carcérale.

Construire des places de prison est horriblement cher : 150 000 euros par place, sans compter le personnel nécessaire pour les faire fonctionner. La prison est une solution qui fonctionne 24 heures sur 24, 365 jours par an, comme un hôpital. Pourtant, il n’existe pas vraiment d’alternatives à la structure de la prison, ce qui explique son attractivité malgré son coût élevé. Nous avons accumulé un retard considérable en matière d’infrastructure carcérale, et la solution est coûteuse.

Il est crucial de construire des prisons pour remplacer les places vétustes. Avec un taux de 106 détenus pour 100 000 habitants, il est essentiel de disposer de ces 2 000 places d’accompagnement vers la sortie, car elles permettent un suivi des détenus, incluant logement et travail, et sont particulièrement utiles pour ceux sans soutien familial. Cependant, cela concerne principalement les détenus ayant une certaine durée de peine, leur offrant le temps de réfléchir et de diminuer leurs liens avec la délinquance, réduisant ainsi les risques de récidive.

Le système fonctionne assez bien pour ces détenus, leur permettant de se réhabituer progressivement à la vie extérieure. Cependant, cela ne résout pas le problème des peines courtes, où les détenus ne restent pas assez longtemps pour bénéficier de ce suivi.

Il existe trois types de prisons en France :

  • Maisons d’arrêt : pour des peines allant jusqu’à 2 ans et les prévenus en attente de jugement. La surpopulation est particulièrement marquée ici, car l’instruction peut durer aussi 2 ans, ce qui fait que certains détenus y passent jusqu’à 4 ans en attendant une place.
  • Centres pénitentiaires : pour des peines moyennes.
  • Maisons centrales : pour des longues peines et des détenus pouvant être assez dangereux.

Question : Selon les données publiées par le Conseil de l’Europe le 6 juin 2024, l’Espagne (62 %) et l’Allemagne (78 %) font figure de bons élèves en termes de taux d’occupation de leurs prisons. Quelles sont les initiatives appliquées là-bas dont la France pourrait s’inspirer pour améliorer son taux de 119 % ?

Réponse de Dominique Raimbourg :

Il est important de noter que le chiffre global de 119% de taux d’occupation des prisons en France n’est pas révélateur de la réalité, car la surpopulation est concentrée uniquement dans les maisons d’arrêt, où le taux atteint 150%. 

Honnêtement, je dois avouer que je ne sais pas comment l’Espagne et l’Allemagne parviennent à obtenir de si bons chiffres. Indépendamment de l’étranger, j’ai connaissance de mesures qu’il pourrait être intéressant de promouvoir en France afin de réduire la surpopulation carcérale. 

  1. Bracelets électroniques et travaux d’intérêt général (TIG) : Ces mesures alternatives à l’incarcération déjà en place en France constituent des mesures pertinentes, mais elles ne suffisent pas à elles seules. Les bracelets électroniques permettent de surveiller les condamnés en dehors des prisons.Les TIG, eux, sont très utiles à la collectivité en même temps qu’ils permettent d’occuper les prévenus et de les mettre véritablement au contact du monde. Ils constituent une alternative d’autant plus intéressante qu’ils sont perçus par la population comme une véritable peine et contribuent à la réduction de la demande de sévérité dans l’opinion publique.
  2. Efficacité de la justice : En France, la lenteur de la justice fait que les peines perdent de leur sens. Par exemple, une personne commet une infraction, elle est interrogée en garde à vue à l’issue de laquelle l’officier de police la convoque  à une audience au tribunal neuf mois plus tard. Entre-temps, elle peut commettre d’autres infractions, et le processus judiciaire se répète sans fin. La justice française doit être capable de casser ce processus d’entrée dans la délinquance. Comme l’a souligné Cesare Beccaria, penseur italien du XVIII siècle : “Ce n’est pas la sévérité de la sanction qui est dissuasive, mais la certitude de la sanction”. Actuellement, les sanctions arrivent beaucoup trop tard pour paraître certaines et effrayantes aux délinquants.
  3. Réduction de la charge de travail des services publics : Il est nécessaire de diminuer la charge de travail de la justice, de la police et de l’administration pénitentiaire dans son ensemble. Dans cette optique, instaurer des peines plus différenciées et mieux adaptées aux infractions. Par exemple, la conduite sous l’emprise de l’alcool sans accident représente 10% des dossiers jugés par les tribunaux. Ces infractions font déjà l’objet de répression (retrait de points, suspension du permis par le préfet). Convoquer ensuite devant le tribunal s’avère peu utile. D’autres solutions pourraient être envisagées pour ces cas afin de ne pas encombrer inutilement les tribunaux.

Question : Cette surpopulation a des conséquences dramatiques pour les détenus, que ce soit en termes de conditions de vie, de réinsertion, de récidive … Pouvez-vous nous en parler ?

Réponse de Dominique Raimbourg :

La surpopulation carcérale en France engendre des conditions de vie inhumaines pour les détenus. D’une part, plus de 3 000 détenus dorment sur un matelas par terre dans des cellules de 9 mètres à 11 mètres carrés, souvent partagées par deux ou trois personnes. Dans les maisons d’arrêt, les détenus peuvent y être enfermés 21 heures par jour. Il n’y a pas assez de surveillants, ce qui limite l’accès aux promenades, aux douches, au travail, ralentit la distribution des repas et du courrier.

D’autre part, la violence est omniprésente en prison. Les détenus accusés d’agressions sexuelles, appelés « pointeurs », sont rejetés par les autres et placés dans des quartiers spéciaux. Ils sont fréquemment frappés. J’ai vu un détenu victime d’une tentative d’égorgement et un autre victime de bris de jambes. Il y a également du racket, où certains détenus forcent les autres à introduire de la drogue par les parloirs.

Néanmoins, la venue de davantage de personnes extérieures (avocats, conseillers d’insertion et de probation, assistants d’aide social à l’enfance, bénévoles d’associations) modernise l’institution et réduit les dérives, ce qui est bénéfique pour les détenus.

En résumé, je suis convaincu que la surpopulation carcérale aggrave les conditions de vie des détenus, compromet sérieusement leur réinsertion et favorise la récidive. 

Question : Cette surpopulation affecte également les conditions de travail des surveillants pénitentiaires, n’est-ce pas ?

Réponse de Dominique Raimbourg :

Effectivement, la surpopulation carcérale rend le travail des surveillants pénitentiaires extrêmement difficile. Surveiller des personnes qui n’ont pas envie d’être là est un défi constant. 

Certains vivent un véritable enfer. J’ai personnellement vu un surveillant être affecté à l’ouverture et à la fermeture de 30 à 40 portes des cellules. Il courait constamment sur la coursive, accomplissant un travail infernal. Ceci n’est qu’un exemple, mais il permet aisément de comprendre pourquoi il est si difficile de recruter du personnel pénitentiaire. 

Question : Face à ces problématiques d’emploi, de liberté, de sécurité et de santé, quel rôle les collectivités territoriales et les élus locaux ont-ils à jouer ?

Réponse de Dominique Raimbourg :

Les collectivités territoriales et les élus locaux ont un rôle crucial à jouer pour améliorer la situation carcérale. Voici quelques actions possibles :

  1. Développement d’un suivi effectif en lien avec les juges d’application des peines et les SPIP : cela inclut des restrictions telles que ne pas fréquenter d’anciens délinquants, ne pas avoir de permis de chasse, de conduire, ou de débit de boisson ; cela inclut également certaines obligations telles que trouver un emploi ou s’entretenir avec un psychologue. 
  2. Hébergement : Il serait souhaitable de créer davantage de foyers d’hébergement, des hébergements en familles d’accueil ou des solutions sécurisées. 
  3. Emploi et formation : Il serait judicieux de passer davantage de commandes aux ateliers de la prison, d’embaucher de sortants de prison comme contractuels et de  ne pas mentionner certaines condamnations sur le casier judiciaire afin de permettre aux anciens détenus d’accéder à la fonction publique comme titulaire.
  4. Éducation : Développer des activités et des formations, comme des bibliothèques, et organiser le placement d’un maximum d’enfants en crèche municipale est un impératif si l’on souhaite éviter que les nourrissons ne restent en prison 24h/24 avec leur mère incarcérée. 
  5. Transports : Il faut mieux desservir les prisons excentrées des centres-villes en densifiant les réseaux de transports en commun. Cela permettrait aux familles de visiter les détenus plus régulièrement. 
  6. Santé mentale : Le système pénitentiaire a mis en place des plans d’hospitalisation à l’intérieur des prisons, ce qui est un progrès, mais il est regrettable que ces personnes ne puissent pas se faire soigner avant de commettre un délit. A l’extérieur des prisons, il est essentiel de renforcer la proactivité des psychiatres, de rembourser les consultations de psychologues et de recréer la spécialité d’infirmier psychiatrique. Trop de personnes échouent en prison faute d’avoir été prises en charge auparavant.
  7. Acceptation des prisons : L’implantation de prisons suscite souvent une levée de boucliers, mais la prison est l’affaire de tous : des élus et nous, leurs concitoyens.

En se mobilisant collectivement, nous pouvons faire en sorte que la prison contribue véritablement à la réinsertion et à la réduction de la récidive.

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