Entretien avec Yvan Franchet, un acteur essentiel de la réinsertion et de la lutte contre la récidive
Au cours de l’été, l’association Territoires & Prisons propose une série d’entretiens pour explorer les enjeux et les défis du système carcéral en France.
Un acteur essentiel de la réinsertion et de la lutte contre la récidive des personnes sous main de justice
Originaire de la Drôme, détenteur d’un diplôme d’ingénieur en génie physique et d’un master en management stratégique, Yvan Franchet est fort d’une expérience de 23 ans dans l’industrie.
Il débute sa carrière en 1989 en tant qu’ingénieur produit dans le secteur de l’électronique. Très vite, il bascule dans le management et conduit un atelier de test de semi-conducteurs. Il évolue ensuite dans le secteur de l’électroménager avant de devenir directeur de division dans l’industrie automobile.
Enfin, il travaille 10 ans chez Smurfit Kappa, le leader mondial de l’emballage carton, où il découvre le milieu carcéral.
Il est aujourd’hui à la tête de ABH Partners, une entreprise de sous-traitance industrielle intervenant en milieu carcéral fermé. Ses 3 salariés et lui-même opèrent depuis 13 ans au centre de détention de Nantes et à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Sur le plan personnel, à 59 ans, il est marié et père de 2 grandes filles.
En tant que Directeur Général de ABH Partners, entreprise effectuant de la sous-traitance industrielle en milieu carcéral fermé, quelles opportunités de travail offrez-vous aux détenus ?
Je propose aux détenus d’effectuer du « travail à façon » (travail d’un prestataire réalisé sur une matière première fournie par le commanditaire) qui est le plus souvent manuel et très rarement automatisé. Les prisonniers réalisent globalement des tâches simples, répétitives, ne nécessitant aucune aptitude intellectuelle particulière. Il s’agit par exemple du collage de boîtes, du transfert d’impressions sur des mugs, de mise en kit, de décorticage de plaques de carton …
Il existe quelques tâches très techniques néanmoins, nécessitant davantage d’attention, de dextérité et d’expérience. Il s’agit par exemple de la soudure, le câblage électrique, la fabrication de casques de vélo, le collage de moquette sur les sièges de karting …
Dans la mesure où ABH Partners exerce une activité industrielle, elle a une obligation de résultat-qualité envers ses clients. Heureusement, la qualité est le plus souvent au rendez-vous. Moi et mon équipe de 3 salariés sommes là pour y veiller. En effet nous effectuons des contrôles qualité en cours de production, au moment du départ des commandes, du lancement, de la livraison. Nous effectuons souvent nous-même le conditionnement final des produits afin de vérifier que le travail des prisonniers nous convient. Nous pouvons ainsi réagir immédiatement en cas de non-conformité du produit.
Globalement, nos clients trouvent un triple intérêt à travailler avec des détenus : un coût réduit (car la main d’œuvre est très peu chère), une grande disponibilité (car la main d’œuvre est locale), une énorme flexibilité (car ABH peut fournir aussi bien 10 que 40 travailleurs, selon les besoins du client).
A quoi ressemble la journée d’un détenu travaillant pour vous ?
Les 45 détenus que j’emploie travaillent seuls, en binômes ou en trinômes dans un atelier de 1000 m², équipé de postes de travail classiques.
La journée de travail chez ABH Partners commence à 7h30 et se termine à 16h, avec une pause déjeuner seul en cellule entre 11h30 et 12h30, totalisant ainsi 35 heures par semaine.
La rémunération des détenus est fixée à 45% du SMIC (5,50€/h), augmentée des primes liées à la productivité (ce qui équivaut finalement à 6,50€/h).
En ce qui concerne le recrutement, il existe une liste d’attente de plus de 100 détenus. À l’issue d’un entretien d’embauche et d’une période d’essai d’un mois, seul un tiers des candidats sont retenus.
Du point de vue de la sécurité, les accidents du travail sont rares, malgré quelques cas de coupures, lombalgies ou troubles musculo-squelettiques. Le vol de marchandises (telles que des bonbons, mugs, mousses autocollantes, sachets plastiques ou câbles électriques) est lui plus fréquent. En revanche, le vol d’équipements (tournevis, couteau) est rare car personne ne retourne en cellule tant que le tableau à outils n’est pas complet.
Je dispose finalement d’un bip d’alerte, mais ce sont les deux surveillants pénitentiaires qui gèrent les rares problèmes de sûreté entre détenus. L’ambiance entre moi et les prisonniers est bonne, car je me concentre uniquement sur le cadre professionnel et ne me préoccupe pas de ce qui se passe en détention.
Comment le travail en prison influence-t-il la réinsertion sociale et professionnelle des détenus ?
Le travail en prison joue un rôle crucial dans la réinsertion sociale et professionnelle des détenus. Il rythme leur quotidien et leur occupe l’esprit de telle sorte que leur séjour en détention passe plus vite. Il leur permet aussi de gagner de l’argent et facilite l’obtention de remises de peine.
En outre, travailler leur confère des responsabilités, favorise la reprise de contact avec le monde extérieur et la vie en communauté. Les détenus réapprennent à respecter des horaires, à suivre des consignes et à collaborer en équipe. Cette expérience professionnelle est précieuse et valorisable à leur sortie, augmentant ainsi leurs chances de réintégration sociale réussie.
Quels sont les principaux obstacles rencontrés ?
Malheureusement, nous faisons face à plusieurs difficultés.
D’abord, le travail à l’atelier est constamment relégué au second plan derrière les activités organisées en détention : les rendez-vous administratifs avec les avocats ou les médecins, les ateliers d’écriture, les cours de théâtre, les sessions de sport …
Ensuite, la logistique est très complexe. Les camions de ABH Partners pénètrent difficilement dans l’atelier de la prison dès lors qu’ils sont gros et sont soumis chaque matin à de nombreux processus de sécurité. De plus, la surface de l’atelier ne peut être agrandie. Sans oublier que l’atelier de la maison d’arrêt de Saint Brieuc est ouvert seulement 5 heures par jour.
Enfin, le fait que les détenus constituent une main-d’œuvre très peu diplômée, qualifiée et expérimentée freine l’essor du travail carcéral. En effet, 70% des détenus ne savent ni lire ni écrire.
Quelles améliorations pourraient être apportées pour rendre le travail en prison plus efficace et bénéfique pour les détenus ?
Pour améliorer le travail en prison, plusieurs actions peuvent être envisagées.
Premièrement, délivrer un certificat d’aptitude aux détenus à leur sortie, attestant des compétences acquises grâce à leur emploi carcéral : la ponctualité, le sérieux, le travail d’équipe …
Ensuite, fournir une lettre de recommandation de ABH Partners aux détenus à leur sortie (dès lors qu’ils la méritent), pour faciliter leur recherche d’emploi à l’extérieur.
Il serait également bénéfique de favoriser une mise en relation directe entre les employeurs en prison, les recruteurs extérieurs et les centres Pôle Emploi.
Enfin, une formation plus complète des détenus en amont de leur prise de poste à l’atelier serait souhaitable. En effet, ABH Partners n’étant pas un organisme de formation agréé, il n’est pas autorisé à former les détenus au-delà des règles élémentaires de sécurité, d’ergonomie et de prise de poste.
Comment les territoires peuvent-ils participer à promouvoir l’emploi carcéral ?
Les territoires ont un rôle crucial à jouer dans la promotion de l’emploi carcéral. Une meilleure coordination avec l’administration pénitentiaire est d’abord essentielle. Des crédits d’impôts ou des allègements fiscaux accordés aux entreprises employant des détenus pourraient aussi inciter davantage de firmes à s’engager dans l’emploi carcéral.
Le marché réservé (où l’État et les collectivités passent davantage de commandes aux entreprises travaillant en prison) serait également un levier efficace. Enfin, des stratégies de communication renforcées, telles des campagnes en faveur des entreprises carcérales ou l’organisation de journées portes ouvertes aux entreprises au sein des prisons, pourraient attirer de nouvelles firmes vers l’emploi carcéral.